J'entends souvent des gens de la scène grenobloise se plaindre de ne jamais être programmés ou accompagnés par des structures locales.
En même temps, j'ai envie de leur dire, si être programmé ou aidé à Grenoble avait promis quiconque à un grand avenir, ça se saurait.
Il faut bien comprendre que dans le cadre de la programmation culturelle, saint des saints de la réussite intellectuelle, récompense d'un parcours dû à l'intégrité esthétique sans faille de celui qui s'en occupe, on se construit dans une confiance immense en ses propres sens et la méfiance, voir le rejet, de tout ce qui ne semble pas venir de soi.
Sachez-le: à l'instar du boucher, mon programmateur est un artiste.
Qu'il soit issu du sérail subventionné, petit bras du privé, chef d'un festival ou self made programmateur, il n'est pas question pour lui de se laisser envahir par la cohorte de sous-merdes locales prétendant au trône, non plus de la notoriété, mais de l'aide structurelle ou du coup de pouce épisodique. Non. On a déjà assez à faire avec ceux qu'on vous présente, les projets de ceux qui travaillent avec vous, et les copains qui frappent à la porte pour ne pas en plus de ça, se fader un groupe de chanson, d'électro ou de pop, aussi motivé soit-il.
Et si parfois, on daigne ouvrir la porte à ces pauvres ignares sans talent, c'est qu'on les a croisés moultes fois à sniffer la même poutrasse pas vraiment pure, dans le carré VIP du festival du coin où flotte l'espoir un peu rance que les cougars rejetées de la loge de Pete Doherty se rabattent sur le petit personnel.
Le programmateur aujourd'hui, c'est un peu le David Guetta de la culture.
Non content de partager avec ses amis artistes un goût immodéré pour l'estime de soi et la chaussette trouée, il faut lui reconnaître d'avoir su catalyser ces dernières années, cette aura mystique et esthétique de la hype dont les jeunes ploucs locaux feraient bien de s'inspirer dans la nécessité de leur propre édification, même s'ils ne savent pas vraiment comment s'orthographie et ce que signifie ce dernier concept.
D'ailleurs, n'a-t-il pas la bonté de montrer la voie, lorsqu'avec l'humilité qu'on lui connaît, il fait partager ses propres expériences artistiques sur les réseaux sociaux ou son goût sûr pour les vieux vinyls ?
Mais attention de ne pas faire du programmateur un trublion voué entièrement aux délires peoplesques dans lesquels pourraient l'emmener les artistes quand ils commandent de la drogue à 3h du matin !
Le programmateur a une limite: la main qui le nourrit, à laquelle il voue une dévotion sans égale, mais pas trop quand même, parce que parfois politiquement, ça peut changer.
Normalement, vue l'anémie d'ambition culturelle à droite, rester à gauche est signe de sage conduite.
N'oublie pas également, cher artiste frustré, qu'il n'est pas simple de rendre des comptes sur un budget, et qu'un euro étant plus que jamais un euro, on ne peut pas non plus t'expliquer à chaque fois tout le cheminement qui fait que le talent d'un artiste grandit au fur et à mesure de la distance qui le sépare du lieu de programmation.
Oui, c'est un peu difficile à comprendre mais ne t'inquiète pas, c'est logique.
- Ah bon ?
- Oui.
Bref, non contente d'avoir sauvé un paquet d'ados timides de leur DEUG de socio et d'un avenir morose dans des bleds improbables, la belle profession de programmateur qu'on décrit trop souvent avec mauvaise foi - ben oui, tu râles parce que tu n'y es pas, c'est tout - a encore un avenir tout tracé, pour peu qu'on lui donne un salaire et l'espoir de nuits beaucoup plus belles que ses jours.