mardi 16 juin 2015

Michael

Rien ne lui revenait. Aucun souvenir alors que tout était si familier. Combien de temps s'était-il passé ? Une heure ? 15 jours ? Une année ? Il ne se rappelait même pas s'être changé ou avoir enfilé ce costume gris cobalt un peu rigide, ni ces chaussures léopard invraisemblables.
Pour le reste, tout était comme d'habitude: de son lit par la baie vitrée, il voyait le ciel, son bleu acide et le soleil si sûr de lui, la ville gigantesque aux formes troublées par la chaleur. Il entendait aussi ses enfants dans leurs chambres, l'un sur sa console, l'autre au téléphone, et sa femme qui prenait une douche - sa femme, comment s'appelle-t-elle déjà ?
Et puis voilà que ça le reprend, la bougeotte, cette foutue bougeotte qui le pousse à se lever pour descendre les escaliers quatre à quatre et sortir de cette grande maison qu'il ne se rappelle même pas avoir achetée. Comment dit la chanson déjà ? Ah oui, "And you may ask yourself . Well...How did I get here?"
De qui est-ce ? Il sait que ça passe sur cette radio qui n'arrête pas de changer mais impossible de se souvenir du nom du groupe. Et le voilà dans la rue, parfois marchant, parfois courant, traversant sans regarder si une voiture arrive. Où va t-il ?
Ses pas l'emportent comme s'il le savait. Il aimerait s'arrêter mais c'est plus fort que lui, il est un bandit, un escroc. Et oui, c'est ça ! Il a un truc à régler, il a besoin d'une voiture, peut-être doit-il trouver celui qui lui a troué la mémoire. Il s'approche d'une Porsche Cayenne, sa préférée, ouvre la portière, tire le conducteur par le col, lui met un direct dans l'estomac, le laisse par terre et file dans le véhicule. A peine démarré, des bagnoles de flics retentissent au loin comme si ces salopards étaient déjà au courant. Il tourne brutalement le volant et le voilà qui roule sur un trottoir pour couper court vers un boulevard. Des corps passent de part et d'autres de son chemin, après avoir rebondi sur le pare choc du 4X4. Ça ne lui fait ni chaud ni froid et il se demande bien pourquoi, mais pas le temps de réfléchir. Faut foncer. Le GPS ! Le GPS ! Oui, ça y est, il sait où il doit aller: l'initiale de son contact vient d'apparaître en haut à droite de l'écran. Mais il faut semer les flics d'abord alors qu'un hélicoptère l'a pris en chasse. Et d'où sort-il celui là ? Le voilà au volant d'une voiture volée et en l'espace de 30 secondes, toute la villle est au courant ?? C'est quoi ce bordel !? Il fonce à travers les rues, klaxonne tant les autres conducteurs semblent faire semblant de ne pas le voir. Il cogne une puis deux puis trois voitures, rentre dans un camion. C'est un prodige qu'il ne soit ni mort, ni blessé et que la Porsche roule encore. On ne peut pas en dire autant des piétons qui tombent comme des mouches. Tiens, en parlant de mouches, les flics lui filent toujours le train et ne semblent guère emmerdés de rouler sur les jantes. Fonçant maintenant sur l'autoroute, il se retourne de temps en temps pour mitrailler ses poursuivants. Fatale, sa technique le rive dans le cul d'un semi-remorque alors qu'il roule à 145 mph. Un peu sonné - comment ça qu'"un peu sonné" ? - il sort de la voiture en flamme avec un fusil d'assaut - mais quid de la mitraillette ? - et court se réfugier dans les dédales de la ville - c'est quoi son nom à cette putain de ville ? Il bouscule les gens, grimpe sur une échelle, il court, il va trop vite, il ne voit pas le bord de l'immeuble, il tombe et….
- "Putain, j'allais avoir les 6 étoiles de recherche" hurla Quentin !
- "Laisse tomber" rigole Arthur "contre moi à GTA V, tu peux pas test ! File moi cette manette !"
Rien ne lui revenait.

lundi 15 juin 2015

Un accident au milieu de Times Square

Il avait décidé ça pendant la nuit, comme dans un demi-sommeil ou plutôt une demi-insomnie, et s'était levé heureux, avec la sensation d'enfin remonter le submergeant torrent de mauvaises nouvelles qu'il ne laisserait plus jamais l'engloutir.
Oui, ç'en était fini de la littérature, des fils d'informations et de toutes ses envies de savoir ce qui se passe autour de lui, que ce soit par les livres ou par wifi.
Il voulait être enfin libre des chaînes du savoir: connaître était devenu trop déprimant et les vérités trop aveuglantes pour pouvoir jouir correctement du moment présent.
Sur les réseaux sociaux, la transparence supposée d'un flux dégoulinant de textes mal écrits et sans analyse réelle, avait fini de le persuader d'abandonner tout effort d'en apprendre plus.
Désormais, même la jouissance qu'il avait à dévorer ses auteurs préférés, à fréquenter les musées, les théâtres, les expositions, était érodée par le peu d'enthousiasme que montrait ses contemporains à l'envie d'échanger, par leur manque de curiosité, eux-mêmes déprimés par une existence où leur impuissance à gérer leur destin semblait de plus en plus patente.
Plusieurs fois déjà il avait pensé arrêter, suite à des soirées où son éloquence, sa gourmandise de mots avaient été stoppées net par le regard dubitatif de convives incrédules ou des attitudes de défiance à l'écoute de ses phrases trop longues. Il regrettait d'ailleurs que ce désir permanent qui vivait en lui, d'user de ses nouvelles connaissances, de tester des pensées fraîchement comprises et assimilées, soit pris pour de l'arrogance.
Il ne pensait pourtant pas être plus intelligent que les autres mais il avait rapidement accepté que la soif de lire, cette passion de découvrir d'autres pensées, et tout simplement, le monde de l'autre, n'était pas ou plus du tout enfouie dans les priorités de tout un chacun.
Les effets se firent rapidement sentir.
Après une première phase, assez difficile, qu'il qualifiât lui-même de "désintoxication", il alla brûler tous ses livres, cessa de fréquenter les salles de concerts et se résigna à sortir ailleurs qu'à la salle de repos ou lors des grands rassemblements.
Puis il s'aperçut non sans amusement, qu'il prenait de nouveau goût à son travail pénible et répétitif, enfin soulagé de toutes ces pensées, ces réflexions inutiles sur le sens de la marche, le pourquoi du comment du lever et du coucher de soleil qui n'intéressait personne autour de lui.
Il se sentait enfin libéré de ces utopies que de trop beaux textes lui avaient mises dans la tête et dans le cœur.
"Cœur ? Quel drôle de mot !" pensa-t-il.
Puis ce fut dans le regard de ses chefs qu'il vit quelque chose changer: le fait qu'il soit d'accord avec eux, que plus rien ne vienne contester leur autorité dans ce regard autrefois trop renseigné, les avait rapprochés. La devise "Chacun pour soi et Tous pour le boss" lui semblait même prendre défintivement sens. Il se surprit même à réutiliser ses antennes pour échanger avec les autres.
Enfin, il ne perçut plus comme supportable une autre forme de pensée que celle de sa petite société, et ne trouva plus souhaitable que des cultures différentes viennent y foutre le souk.
Ironiquement, ce que H-238 ne put jamais saisir dans cette infinitésimale fraction de temps que la vie lui avait accordée, c'est qu'en se résignant ainsi, il avait refusé à lui-même et à ses semblables, la place de première fourmilière de l'Univers à abriter la conscience.
Et quelques jours plus tard, aucune parole ne sortit de lui lorsque le pied d'un enfant vint écraser ces milliers d'années d'évolution qui au final, n'étaient qu'un accident au milieu de Times Square.
(à Werber et clin d'œil à Xavier Bray)